C'est en 1992 que j'ai vu le jour, à l’hôpital de Toronto. Ma mère, tombée enceinte très jeune d'un homme qui l'a abandonnée avant même ma naissance à du m'élever seule et m'a nommée Cassidy L. Smith. Même avec une mère célibataire, la situation aurait pu être différente. A vrai dire, l'époque où j'ai vécu seule avec ma sœur pendant mes plus jeunes années a été la plus agréable de ma vie, celle dont je garde les meilleurs souvenirs. Pourtant, nous ne roulions pas sur l'or et il arrivait qu'elle-même ignore comment elle allait bien pouvoir finir le mois. C'est alors que j'avais 9 ans que tout a changé.
Enfin, tout n'a pas changé aussitôt, j'étais même heureuse au début. Plus de difficultés financières, ma mère heureuse d'avoir retrouvé un homme avec qui partager sa vie. Il était très apprécié, bien sous tous rapports... Mes deux premières années de vie avec lui n'ont rien eu de désagréable même si parfois, la façon dont il me regardait me mettait mal à l'aise. Mais un jour, les regards déplacés se sont transformés en gestes et c'est comme ça que l'enfer a commencé. J'avais 11 ans et pour échapper à tout ça, j'ai commencé à tenter de passer un maximum de temps hors de la maison seulement lorsque je rentrais et rejoignais mon lit chaque soir, j'étais incapable de dormir. Allait-il débarquer ? Quel cauchemar allait-il me faire vivre cette fois ?
Pourquoi n'en ai-je jamais parlé à ma mère ? Je l'ignore. Je n'y arrivais pas. Il avait le don de me faire culpabiliser, comme si tout était de ma faute et qu'elle aurait honte de moi. Et alors que je croyais que les choses ne pourraient pas devenir pires... Un accident de voiture a coûté la vie à ma mère alors qu'elle rentrait du travail et c'est seul avec mon beau-père que je me suis retrouvé pour les années qui suivirent. Aucune fille d'à peine 15 ans ne devrait avoir à subir tout ça, Il m'a ôté toute envie de me battre, de vivre même... Jusqu'au jour où j'ai décidé que ça ne pouvait plus durer. Il m'a fallu des années pour réagir, de longues années où je tâchais d'éviter la maison autant que possible tout en cachant mon lourd secret, traînant dans les rues de Toronto avec des gens plus ou moins fréquentables, tentant de faire taire cette douleur, cette peur et les cauchemars qui l'accompagnaient avec des substances pas vraiment légales.
Un soir, j'avais enfin décidé de faire quelque chose, de ne plus me laisser faire et de me battre plutôt que de subir en silence. Et ce soir-là, j'ai tué un homme... Je savais qu'il possédait une arme et après son habituelle visite à ma chambre en plein milieu d'après-midi, après avoir descendu ce qui restait de sa bouteille de whisky pour essayer de noyer la douleur, la honte que je ressentais, j'ai trouvé son arme et l'ai rejoint au salon, pointant l'arme sur lui de ma main tremblante, prenant bien soin de lui faire remarquer ma présence. Oh, bien sûr il a tenté de me dissuader, de me persuader de lâcher mon arme, mais je n'écoutais rien et alors que je lui hurlais enfin tout ce que j'avais sur le cœur, la vue brouillée par les larmes, le coup de feu est parti tout seul.
Je n'avais encore pas 19 ans et j'ai tué un homme. Un homme respecté qui plus est. J'ai hésité à partir, à fuir Toronto sans jamais me retourner, à me faire oublier mais dans le fond je ne regrettais pas mon geste et si je devais payer pour avoir tué l'homme qui avait fait de ma vie un enfer pendant ces longues années alors je payerai.
Quand la police est arrivée, je n'avais pas bougé. J'étais assise là, au salon, le regard dans le vague, incapable de dire quoi que ce soit. J'avais beau n'avoir aucun regret, je venais de tuer un homme et croyez-moi même si vous haïssez votre victime au plus haut point, ce n'est pas quelque chose dont on se remet rapidement.
Il a fallu un moment avant qu'ils réussissent à me faire parler et quand je le fis, j'eus toute une batterie de tests à endurer pour prouver ce que j'avançais : que cet homme avait abusé de moi, que je ne l'avais pas tué sans raison et que j'avais eu une véritable raison pour péter un plomb. Ils m'ont gardé à l'hôpital pendant plusieurs semaines et j'ai dû voir une bonne douzaine de psy et autres spécialistes, voir l'avocat commis d'office qui devait me défendre... Et j'ai été jugée. J'étais coupable, tout le monde le savait mais les circonstances ont fait que j'ai été relâchée à la condition que je continue d'être suivie. Peut-être craignaient-ils que je ne pète encore un plomb un jour et tue de nouveau quelqu'un...
J'ai tout de même demandé à quitter Toronto. Je ne voulais plus être là-bas, trop de mauvais souvenirs me revenaient en mémoire. J'avais été acceptée à l'Université de Chicago et le suis intégrée tout en prenant soin que personne ne sache qui j'étais mais bien entendu, ça n'a pas duré et les autres étudiants n'ont pas été des plus tendres avec moi. Alors je suis partie et suis décidé de m’éloigner encore un peu plus. J'ai demandé à être transférée à Pasadena au Etats-Unis et à changer mon identité afin que personne ne puisse plus me lier à toute cette histoire. J'avais déjà encore assez de mal à gérer tout cela sans en plus avoir à supporter mes camarades étudiants bien déterminés à me mener la vie dure. Mon vilain secret ne referait pas surface cette fois, c'était impossible...
Une fois arrivée à Pasadena, j'ai commencé à chercher du travail, j'ai commencé à travailler en tant que serveuse, mais aillant le diplôme de danseuse professionnel, j'ai donc décidé d'ouvrir une salle de danse à Pasadena. Je me méfie des hommes comme la peste depuis des années. J'ai de bonnes raisons après tout, n'est-ce pas, même si personne ne risque de le deviner, car je suis devenue très douée au petit jeu qu'est cachée ma véritable histoire, ma véritable identité.